N. Sarkozy est un orateur tellement redoutable qu’il arrive à se convaincre lui-même. “Ensemble, tout devient possible” est un beau slogan, qui répond au “je crois que ça va pas être possible” popularisé par le groupe Zebda il y a quelques années comme repoussoir. “Ca va pas être possible” est depuis des années la réplique type qu’on prête aux gens de pouvoir et d’argent qui ne veulent pas donner leur place aux jeunes et à tous les laissés pour compte, qu’on attribue aux représentants de la “mondialisation libérale". A quoi les “anti-libéraux” répondent bien sûr qu’"un autre monde est possible.”
Evidemment, c’est une supercherie. Sarkozy, le président jet-set, l’ancien maire de Neuilly, est un “yacht-people", pas un “petit gars à qui on n’a jamais fait de cadeau", comme il est arrivé à le faire croire, notamment en reprenant ce slogan des déshérités à son compte. Mais ce slogan a aussi un autre sens: Sarkozy croit vraiment que “ensemble, tout devient possible". Il n’est pas du tout l’ultra-libéral que l’extrême gauche “anti-libérale” s’imagine par paresse intellectuelle, mais un volontariste qui ne croit pas aux contraintes économiques. C’est par certains côtés un gaulliste pur sucre, qui croit qu’une volonté politique forte peut tout: “ensemble, tout est possible", c’est finalement ce que disait le De Gaulle du 18 juin, ou le de Gaulle qui osait tenir tête aux Américains dans les années 60, ou mettre en panne la construction européenne. Oui, mais Astérix a-t-il une potion magique? Eric Le Boucher le met en garde:
En dépit de la foi exorbitante que notre petit Astérix a dans la potion magique de la volonté politique, l’échec de sa politique arrogante n’est pas sûr, parce que la rhétorique de Sarkozy fonctionne comme une tactique de joueur d’échec. Il “cloue” ses détracteurs là où, si cela ne fonctionne pas, ce sera leur faute et pas la sienne. Comme aux échecs, quand ses adversaires constateront qu’il leur offre une vulnérabilité, ils ne pourront pas en profiter parce qu’il aura pris garde de les mettre dans une situtation de vulnérabilité encore plus grande. Toutes les mesures qu’il projette sont pensées de manière à ce qu’en cas d’échec, le bouc émissaire soit les acteurs qu’on va pouvoir apparenter à la fameuse “pensée unique".
Exemple typique: en matière de justice, Sarkozy instaure par l’intermédiaire de sa courroie de transmission Rachida Dati ses peines incompressibles pour les multirécidivistes. ce qui va contre le principe de la personnalisation de la peine. Donc une provision est introduite pour que les magistrats aient toute liberté, en le motivant, de déroger aux peines-plancher. Donc ce sera à eux qu’incombera la charge de la preuve.
Si la réforme ne fonctionne pas, encombrant les tribunaux et bourrant les centres de détention alors que la justice n’a toujours pas les moyens de fonctionner, on dira qu’elle aurait fonctionné sans la concession faite, et on accusera les juges qui ont “pris leurs responsabilités” de faire jouer la dérogation. Habile et même machiavelliquement efficace: Sarko fait ce qu’il a dit, sauf qu’il introduit dans ses mesures démagogiques et dangereuses un petit défaut. Si la mesure marche comme il l’a prévu, tant mieux évidemment. Mais si elle ne marche pas, il pourra éventuellement invoquer le petit défaut pour excuser l’échec de la réforme, en en reportant la responsabilité sur ses adversaires.
Pour les universités, une fois qu’elles auront leur autonomie mais toujours pas les moyens financiers de fonctionner, on les accusera de ne pas avoir obtenu les moyens financiers privés qu’elles auront davantage le droit de solliciter. L’Etat va se défausser ainsi de son engagement insuffisant dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Combien de temps cela peut-il tenir? Très longtemps, quand les médias sont tenus par les mêmes méthodes d’intimidation et avec un électorat qui n’a jamais été très regardant sur l’éthique.